Un projet Slam mené par Antonin del Hage dit Tonino et Gaspard Herblot, dans 4 classes de l'IND en 2e secondaire
Carte postale par Claire Gatineau, février 2015
"Une semaine, une semaine pour…
Pourquoi ?
Le savez-vous au premier jour ?
Ecrire…
Partager sur une scène les mots choisis, ce qui se cache derrière, ce qui se met avec, ce qu’ils portent, ce qu’ils disent, ce qui vibre de vous en eux
Et pourquoi faire ?
Et ces personnes nouvelles que vous voyez pour la première fois, qui viennent dans l’école, que veulent-elles de vous ?
Des rythmes
Quoi des rythmes ?
Mardi
9 heures
Anderlecht
vous êtes 30
un grand groupe
vous êtes debout
je vous observe assise à l’extérieur du cercle
vos pieds tapent le sol, en 4 temps
puis les mains claquent entre elles à leur tour
grands, petits, vous êtes de toutes les tailles
- C’est compliqué pour tout le monde ! Mais ça va vous être très utile quand on va travailler le rap !
Les petits sont rapides, les grands hésitent, les filles sont concentrées, tous en cercle.
- On a presque fini le tour !
Les visages sourient et tout le groupe reprend le rythme.
Puis les bouches se préparent, les muscles de la bouche, les filles hésitent.
Des tchikitchikitchikitchiki, et avec les lèvres, des sons comme des balles de tennis
des langues qui claquent comme des gouttes de pluie
et d’autres qui se décollent du palais en faisant toc
l’air siffle en sortant de tes poumons et tu chasses un chat, psch psch ,
et puis tu dis S en inspirant, et tu finis par un K
Essaye, essaye, essaye quand même…
Changement de décors, une partie d’entre vous quitte la boutique culturelle pour retrouver la feuille et les mots à l’école. Dehors le bruit des enfants dans la cour.
Dans le grenier, vous formez un cercle à nouveau mais un cercle d’écrivains.
- Qu’est-ce que j’ai vraiment envie de dire ? C’est vous qui devez faire des choix.
Vous rejoignez les tables, les trousses et les feuilles.
- Monsieur !
- Comment il s’appelle déjà ?
- Gaspard.
Maman pour moi t’es la plus belle
Pour moi t’es une guerrière
Je me promène de table en table.
- Je m’appelle Christian, je suis toujours méchant
- Ecris les rimes avec an
- Christian, éléphant, ramadan…
- Je ne suis pas un éléphant, je fais le ramadan
- Attends attends, je vais le mettre !
Amin est inspiré. Ça papotte, ça échange entre poètes autour de la table.
- Moi je préfère avoir un paquet de riz qu’une Ferrari
- T’as mis éléphant ?
- Mais non, je veux pas mettre éléphant !
- Et t’écris quoi ?
- Je m’appelle Christian, ma maman m’a toujours dit
tu grandiras avec le temps
mais pour l’instant, je suis qu’un enfant.
Je me ballade entre vos mots.
Tu m’as laché la main, reviens juste une fois
S’il te plait, s’il te plait grand-père.
- Vous savez continuer ?
- Euh… je suis pas sure de quelques phrases.
Je chante en rappant
Pour dire le sentiment
Je fais du chant sans instrument
Toi tu écris seul à ta table et cherchant tes mots tu danses sur ta chaise.
- Heureuse et malheureuse, non, non…
- Heureuse et …
- Heureuse et triste
- Je pars avec toi,
virgule…
Je vais voir celui qui danse en écrivant.
J’ai deux poumons.
J’ai un tee shirt à la tête et une carotte en Espagne
et je travaille la lettre.
- Et ce texte là, est-ce que tu as envie de le partager ? Parce que c’est très personnel. Tu l’as écrit pour toi, mais est-ce que tu as envie tout à l’heure de le lire devant tous les garçons et les filles de la classe ? Moi quand tu m’as lu ce texte, j’ai eu envie de pleurer. Ce qui est difficile, c’est qu’il faut parfois prendre de la distance.
Je change de groupe et retourne à la boutique culturelle.
Autre classe, autre énergie
Quoi que tu fasses tu seras toujours critiqué dans la vie
On parle sans savoir ce qu’on dit
Mais faut pas oublier qu’on a le même dieu
Que faut bien vivre ensemble pour bien connaître les autres
3 filles, téléphones en option, lisent leurs textes sur les petits écrans.
- Et moi je dis ça ? demande l’une d’entre vous.
Le soir, vous avez continué à écrire, à vous écrire, sur vos téléphones, correspondance à trois, la nuit, à distance.
Pendant ce temps, Tonino avance avec un autre poète.
- C’est qui elle ?
- Une fille
- Moi j’étais seul, elle est venue de nulle part. On dirait que c’est de la mort dont tu parles. On a l’impression qu’elle est venue te cueillir la mort. Essaye de réfléchir un peu. Qu’est-ce qui a pris ton cœur mon grand ?
- Une fille.
- Réfléchis, prends le temps de réfléchir. Mets toi sur la voix avec une rime.
Chacun bataille et ça ferraille, chacun avec ses mots, chacun avec son histoire.
C’était difficile de quitter ma famille et mes amis mais bon je suis venue en Belgique pour me battre et pour réussir plus tard, c’est comme ça dans la vie. Il y a des choses à surmonter.
- Entraine-toi à le dire à haute voix, d’accord ?
Ecrire, chercher, fouiller
- On n’a pas été sur internet, on l’a inventé nous-même !
Se disperser, se reconcentrer.
J’ai pas de potos, ma maison c’est le quartier
On vit dans un monde de trahison
J’aurais tant rêvé d’être avec toi
Roi Papa.
Comment approcher de ce que l’on veut dire ?
Le sommeil parti
3 petites princesses
- Ce que vous écrivez, vous l’adressez directement
J’encaisse, j’observe, je dis non, mais je retiens
Adressez-le ! Adressez-le et que ça percute !
Je vous quitte.
Jeudi. C’est autre chose.
Jeudi, deux autres classes
Lundi mardi mercredi jeudi
La semaine entière moins 1
- Monsieur, j’ai rien compris !
- Ben justement j’ai encore rien dit !
La pression commence à monter.
Dans la boutique culturelle, une scène, des projecteurs et 4 micros.
- Est-ce que quelqu’un veut commencer ?
Trois filles se lèvent. Cachées derrière le rideau puis derrière leurs écharpes.
Je t’aime tellement que les mots ne sont plus suffisants
- Il y a des choses qui nous donnent des informations dont on n’a pas forcément besoin.
Vos main se glissent sous vos écharpes et vos écharpes remontent jusqu’à vos nez.
- On continue. Qui va passer ensuite ? Toi toute seule ?
Quand tu es avec elle son cœur se remplit de joie…
- Monsieur, j’ai oublié !
Stress
Mais peu à peu les mots s’adressent et les regards se lèvent.
Quand tu lui parles, des papillons dans le ventre
Tu sors, applaudissements.
- Moi je trouve que c’est déjà super mieux qu’hier, mais y a une sorte de ton un peu monotone.
Les nuances que tu donnes en chuchotant dans le micro.
Quand elle te voit, elle ne respecte plus la loi
- Varier quoi ? Le volume de la voix ?
- l’intonation !
- la vitesse !
T’as intérêt à faire ce que je veux
Sinon il n’a pas de nous deux
- Comment on chasse un chat ? Comment on dit bonjour au directeur de l’école le matin ? Selon ce qu’on dit, on change d’intonation. Vous avez déjà été en colère contre quelqu’un ?
Dans l’amour il faut accorder le bonheur, la ferveur et la peur
- Prenez vos épaules et laissez-les tomber. Respirez, inspirez ensemble.
Et si jamais tu me donnes de la souffrance
Tu ne mériteras jamais ma confiance
3 filles sortent de scène, et toi tu veux venir tout seul.
- Je peux prendre mon texte ? Parce que j’ai mis comment je dois dire les phrases dessus.
Imrame. Tu prends le micro. Tu as ce courage.
- Fais-toi confiance. Quand tu veux.
Briser mon être je ne le ferai pas
Je construis ma vie ici bas
Et ces mots un peu plus tard
Son âme est pure comme la lumière
Applaudissements.
- C’est chouette ce que tu fais avec ton regard.
- J’essaye de regarder les gens.
- Tu es un peu dans les nuages.
Puis, vous rentrez, 3 garçons.
Quand je stress, j’ai envie de me calmer
Quand j’ai envie de me calmer, j’ai envie de dormir
Quand j’ai envie de dormir, J’ai envie d’être tranquille
Vous cherchez les bon micros, les grands, les petits
Rires
Tu croises les bras, tu mets tes mains derrière le dos, tu respires,
tu frottes tes mains sur ton jean, tension
Destination Neptune
- On est au cinéma là, on est entrain de voir un film. On reprend du début ?
Nous allons quitter la base aérienne
- Je sais que t’as peur, je sais que c’est stressant, mais essaye de prendre le temps.
Nous sommes dans la fusée
La fusée est confortable
Il y a trois frigos de luxe
- Qu’est-ce qui est différents ?
- On vole !
- Est-ce qu’on le voit dans le corps ?
Ici c’est notre place
Chez nos frère vénusiens
Ici on est tellement bien.
Trois filles relayent les 3 garçons.
Dans la rue, le bus, le train
Serons-nous un jour serein ?
3 garçons
Frapper, placer, tirer, marquer
La voix tremble et se cherche, mais elle se trouve.
- Tu peux prendre le micro et dire le texte de dos ?
Juin 2012, j’arrive du Niger
Avec mes parents et mon frère
Tu racontes le départ, tout ce que tu as quitté
Silence pour ceux qui écoutent
On est parti d’Afrique parce qu’il n’y pas beaucoup de métiers
Ici, en Belgique des fois
Je voudrais retourner au Niger
Ici, en Belgique j’aime l’école
- Qu’est-ce que vous avez ressenti ?
- De la tristesse.
Tiago tire et rate
Il récupère la balle
Retire et marque
- C’est bien comme ça !
Je vous quitte et rejoins l’autre groupe, salle de classe, tables, chaises, lumière du jour, clocher au loin, calme.
Qui êtes-vous ? Que vivez-vous ? Qu’avez-vous écrit ?
Jeudi après-midi. Dernière ligne droite. Respirations nerveuses.
-Est-ce qu’il y a quelqu’un qui veut ouvrir le bal ?
Grand silence. Pas facile de se lancer. Il en faut du courage. Le silence dure puis
- Oui, c’est bon, j’y vais moi…
- Ah ! Adil !
- Dahoud et Davide.
- 5 et 6
- 8, 9, 10, 11, 12, 12, 14 15, et où est le 16 éme ? Il me semble que j’ai cité tout le monde.
On va faire le tout dans l’ordre, d’une traite, comme ça on voit un peu ce que ça donne l’énergie de groupe. On se met un peu dans les conditions de demain. On essaye ? Moi je dis rien du tout, j’observe, je dis rien, dit Tonino.
Ma mère ma chérie je t’écris ce texte aujourd’hui
Pour te dire que je t’aime à la folie.
Et parfois, le stress bloque la mémoire.
- J’ai tout mélangé, j’y arrive pas.
Avec cette parole je te remercie
Mais combien de fois je t’ai dis que tu es ma vie.
Applaudissements, vous passez les uns après les autres
Ma sœur ma meilleure amie
La fille à qui je raconte toute ma vie
On s’aime sans se le dire
On se comprend juste avec un sourire
L’amour n’est pas toujours facile
Des jours ont rit, des jours on pleure
Tous les jours dans son paysage
Il en a marre de ne voir aucun visage
Je suis fatigué, je veux m’adapter
Mais il me faut de la volonté
Du courage
Quand je fabrique un objet je veux en refaire
Quand j’installe des parquets, je gère
Et toi en levant la tête
Tu l’as regardé et tu as craqué
Un amour de jeunesse qui la complète et qui la blesse
Du courage il en faut
Malgré que tu es encore un gosse
Pour moi tu accomplies ton rôle de boss
Être adolescent n’est pas une chose facile
Pour calmer la détresse, je te donne des caresses
De toucher tes lèvres était mon seul rêve
Dans ce monde les gens sont influencés
Par l’argent qui n’est qu’un bout de papier
Je souhaite le bonheur des gens
Rêver le monde, un autre monde
Premiers pas, premiers mots
Première claque, premier vol
- Qu’est-ce que vous avez pensé de vous ?
- Moi je l’ai pas bien fait.
- J’aimerais bien un peu plus de solidarité. Du respect, de la solidarité et de la confiance. On essaye de profiter de ce moment un maximum.
Demain, que sera demain ? Un jour différent.
Comment mettre du corps dans vos mots ? Comment les rendre vibrants ?
Qu’ils vibrent jusqu’aux autres ?
Être là, seul au milieu des autres, mais fort.
Et à quoi jouent tes mains qui trahissent ta nervosité ?
Comment assumer ?
Si l’on savait au moment où l’on crée que l’on est un trésor
Au moment où l’on est ?
Que ces mots sont forts
Que notre vie est précieuse ?
Et faire en sorte que nos mains puissent faire partie du même corps que nous ?
Non ?
Ah si…
tu pouvais voir en toi
nous pouvions voir en nous
Les trésors que les autres y voient
Ah si
Tu voyais ces trésors.
A vous observer, voilà ce que je me dis, longue méditation qui se poursuit longtemps après.
Et je repars, vous ayant écouté, avec cette confiance.
Vos mots sont des trésors."